La troisième conférence, de CONVERSER s'est donné pour mission d'explorer le thème "Fédérer ses parties prenantes externes sur ses enjeux RSE".
Odile Bastère, Directrice RSE et Innovation chez la Société de la Tour Eiffel, Thomas Parouty, Fondateur de l'Agence MIEUX et Anthony Mollé, CEO de Civitime partagent leur expérience pour comprendre comment tisser des liens solides avec ses clients, fournisseurs et autres partenaires dans sa démarche RSE.
Odile Bastère :
"Ce schéma des parties prenantes est une des figures de notre déclaration de performance Extra-financière. C'est un exercice auquel on s'est livré il y a déjà quelques années, qu'on réitère régulièrement.
L'idée, c'est effectivement de déterminer quelles sont toutes les entités différentes qui ont un rapport avec l'entreprise et l'activité de l'entreprise, de les cartographier en termes de proximité et de les classifier par catégorie. Plus on se rapproche du centre et plus le lien est fort.
Donc il y a bien sûr les parties prenantes internes, mais ce n'est pas tellement le sujet du jour. On va plutôt se regarder les parties prenantes externes avec les institutions, les collectivités et les territoires qui sont des parties prenantes un peu particulières, ensuite il y a toutes les parties prenantes qui ont un impact et une relation avec la finance. Donc ça peut être des concurrents, des analystes, des investisseurs, mais plus particulièrement nos actionnaires et bien sûr, et nos administrateurs. Et puis surtout, il y a nos clients, alors nous sommes dans l'immobilier, dans les clients sont nos locataires.
Ensuite, il y a toute tout l'écosystème des partenaires, des fournisseurs et des prestataires, tous ceux qui contribuent à l'activité économique, sociale et sociétale de l'entreprise. Donc il y a des fournisseurs de premier rang qui sont des prestataires avec lesquels nous avons des relations contractuelles, avec lesquels nous allons tâcher également de créer un lien particulier sur les sujets RSE.
Une fois qu'on a schématisé tout ça, on va sur le terrain pour interviewer ses parties prenantes pour leur demander, quelle est importance ils donnent aux sujets et aux enjeux de la RSE en tant qu'acteurs de l'immobilier. Au travers de leur réponse on peut construire cette deuxième cartographie qui identifie quels sont les sujets les plus les plus importants pour nos parties prenantes."
Odile Bastère :
"L'immobilier a été obligé d'être précurseur dans la mesure où c'est l'un des secteurs les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Nos enjeux sont particuliers sur les déchets et sur la fabrication des matériaux, notamment le béton, le verre... qui demandent beaucoup d'énergie pour être fabriqué et la construction, représente à peu près 60 % de l'impact environnemental d'un bâtiment.
On s'est donc mis en marche très tôt, on a vécu un peu la traversée du désert pendant toutes ces années où on peut on parlait de RSE sans être réellement écoutés par les entreprises, nos investisseurs, nos locataires et nos prestataires. Et ce grand silence était un peu frustrant et nous a amenés à essayer de trouver des solutions pour embarquer justement nos parties prenantes. Il y a eu une crise sociale avec les gilets jaunes, puis une crise sanitaire avec la covid qui, comme beaucoup d'activités ont créé des difficultés. Les entreprises, les PME, TPE qui constituent nos clients avaient bien d'autres sujets prioritaires que les sujets RSE. Et en même temps, ces crises ont nettement déclenché quelque chose.
Je pense que tout le monde a senti ce frémissement post covid où les valeurs sociales ont basculé et ça s'est ressenti dans notre capacité à nous faire entendre. On a senti que les gens écoutaient les messages qu'on essaie de leur envoyer pour les attirer dans nos sujets RSE. La plus grosse problématique à laquelle on a été confrontée, c'est indéniablement l'identification d'une personne, d'un contact, que ce soit chez les investisseurs, chez les actionnaires, chez les prestataires ou chez nos clients.
C'est vraiment le plus gros écueil à surmonter ensuite. Dans notre modèle d'affaires, on a cette particularité que nos clients sont des entreprises, mais qu'en fait ceux que l'on cherche vraiment à fédérer, ce sont les collaborateurs de nos clients, parce que ce sont eux qui utilisent l'immeuble, ce sont eux qui laisse un robinet ouvert, une lumière allumée, qui prennent l'ascenseur pour passer d'un étage à l'autre... C'est-à-dire que même une fois qu'on a identifié un interlocuteur, il faut que cet interlocuteur soit en mesure de diffuser ensuite dans sa structure les messages qu'on souhaite faire passer.
C'est d'ailleurs pour cela qu'on a fait appel à Civitime, pour qu'à travers la gamification, les occupants des immeubles et les collaborateurs puissent être sensibilisés sur les enjeux RSE.
Il y a également l'importance d'un alignement d'intérêts, qui est souvent le financier. Par exemple, la hausse des prix de l'énergie a déclenché des actions d'économies d'énergie pour des raisons vertueuses, mais simplement parce que tout à coup ça a coûté beaucoup plus cher. C'est souvent par des sujets extérieurs qu'on arrive à faire rentrer ces sujets dans le dialogue avec les parties prenantes. Je pense que tant qu'on ne touchera pas à la valeur de nos actifs, à la valeur de l'entreprise, ça ne bouge pas. On a cette confrontation entre extra-financier et financier, c'est vraiment une lutte de chaque jour et il ne faut pas se décourager.
Et la bonne nouvelle aujourd'hui, c'est que nous avons de plus en plus de locataires qui commencent à embaucher des responsables RSE et qui maintenant commencent à me contacter. Et ça c'est magique quand ça m'arrive."
"Il suffit de 10 % des collaborateurs pour changer toute l'entreprise" - Harvard Business Review
Thomas Parouty :
"Effectivement la question est de savoir comment communiquer et sensibiliser les collaborateurs, donc ce que mettent en place de nombreux d'animateurs de bâtiment ou de responsables des services généraux ce sont des newsletters, mais il faut ensuite aller plus loin. La RSE c'est surtout une conversation, il faut créer le dialogue et tout une émulsion collective autour de ses sujets et ça la gamification le fait très bien par exemple.
Il y a aussi de plus en plus de collectifs de collaborateurs qui se réunissent autour de ses sujets et ces personnes qui souhaitent volontairement s'engager dans la RSE il faut que les entreprises les mettent en lumière et qu'ils puissent avoir à disposition toutes les ressources nécessaires pour inspirer et sensibiliser d'autres collaborateurs dans la boite. Ça permet à tout le monde de suivre la voie tracée par ces personnes à travers l'effet boule de neige.
Le deuxième élément de réflexion que j'aimerais partager avec vous, c'est le club de clients. On voit bien qu'aujourd'hui, la coconstruction des offres de la communication est par définition de la stratégie à ce se fait aussi avec les parties prenantes externes et notamment les clients et consommateurs.
On a la chance de bosser pour Decathlon et le club de cocréation Décathlon, c'est super intéressant. Quand on est communicant chez Decathlon et qu'on interroge la base de données, on a des retours qui sont très pertinents, avec des gens qui ont un niveau d'expertise élevé, ce sont des éléments qui permettent d'identifier les parties prenantes, de les animer."
Odile Bastère :
"Il y a d'autres façons, par exemple chez STE on a des comités environnementaux où on réunit les locataires, alors ça peut être le fait l'objet d'un petit déjeuner. L'idée, c'est d'essayer de les faire venir et c'est toujours ce sujet du dialogue. Dès que le dialogue est enclenché avec une partie prenante, à ce moment là, on arrive à faire passer des messages à faire de la coconstruction sur les sujets. On a des témoignages de locataires qui justement expliquent comment on a collaboré sur des sujets comme l'économie circulaire. Et bien sûr, il y a aussi nos prestataires, qu'on embarque avec nous quelquefois. Globalement, les petites entreprises sont ce sont les plus agiles et plus riches que les gros groupes, en général, sont déjà embarqués dans ces sujets-là par eux-mêmes."
Anthony Mollé :
"La plus grosse difficulté, c'est qu'on s'adresse auprès des parties prenantes externes, dont la communication ne s'établit pas aussi bien et de la même façon qu'en interne. Par exemple, si l'interlocuteur, c'est le directeur de l'immobilier. Comment je peux lui faire comprendre qu'il faut qu'il sensibilise ses collaborateurs sans que ce soit perçu un peu comme de l'ingérence. Donc il y a un premier travail qui est complexe sur les interlocuteurs de premier rang, c'est de faire le lien entre la RSE et le volet financier pour que ça parle à tout le monde.
De plus, on n'a pas trop parlé réglementaire, mais il y a quand même un contexte qui est de plus en plus favorable avec notamment la CS3D, qui est une directive qui est en train d'être décidée en ce moment, pour obliger toutes les entreprises sur le devoir de vigilance, notamment sur le fait de vraiment mener des actions de sensibilisation sur toute sa chaîne de valeur."
Thomas Parouty :
"C'est clair qu'il faut créer de la désidérabilité avec Civitime on a travaillé par exemple avec le groupe L'Oréal, au niveau mondial, la gamification a permis d'activer 35 % des 120 000 salariés donc c'est un beau résultat.
Il faut expliquer en interne et externe ce qui est en train de se passer et plus les gens comprendront que le dérèglement climatique est un problème qui va nous obliger à changer de comportement et de business, plus les gens vont s'engager, donc voilà, il faut faire preuve de pédagogie et leur montrer des solutions.
Il y aussi la cohérence qui est un élément très important. Il y a des entreprises dont on sait qu'elles ont arrêté de vendre certains produits et ont pour autant augmenté leur chiffre d'affaires. Elles ont augmenté leurs parts de marché parce qu'elles ont fait preuve de cohérence, notamment à partir de ce type de renoncement qui est perçu directement comme un engagement de la marque auprès des consommateurs. C'est de la transparence et il y a certaines entreprises qui le font très bien.
Moi, je vais souvent sur le site de Léa Nature qui commercialise des produits bio alimentaires et cosmétiques et qui est basé à La Rochelle, ils sont assez transparents sur le bilan carbone et ils montrent tous leur succès mais aussi là où ils se sont plantés. L'idée, c'est d'expliquer un peu ce qui se passe dans l'entreprise.
Il y a tout un cheminement pour embarquer les consommateurs et les mobiliser sur ces enjeux-là."
Quels conseils pour la chaine provisionnement et des fournisseurs qui se trouvent dans des pays qui n'ont pas la même sensibilité à la RSE ?
Thomas Parouty :
"Quand on possède des fournisseurs de fournisseurs, qui sont dans des pays éloignés des notions de RSE. Il faut s'adresser à des spécialistes des achats responsables ou des cabinets qui remontent à la source. Si on met la pression à nos fournisseurs de rang un, ils vont mettre la pression à nos fournisseurs de rang deux et ça va aller comme ça."
Odile Bastère :
"La sensibilité à la RSE est très hétérogène au niveau mondial. C'est une démarche qu'on est en train de lancer, donc je n'ai pas un retour d'expérience très complet, mais l'objectif, c'est vraiment de faciliter la gestion responsable des partenaires et des prestataires en amont et aval. C'est le partage de ses performances RSE, aussi bien sur l'éthique, la corruption que sur les délais de paiement. Enfin, ça couvre vraiment tous les sujets de la relation contractuelle d'aider des acteurs de la chaîne de valeur.
C'est une démarche qui n'est pas chère du tout et ça fait effet de marguerite, c'est-à-dire qu'on va, on va se faire évaluer nous-mêmes, on va demander à nos prestataires de rang un de participer à cette évaluation. Puis, eux-mêmes demanderont à leurs prestataires de rang un de procéder à cette évaluation. Et donc ça fait cette espèce de marguerite qui déploie de plus en plus de d'évaluations et qui permet dans une certaine mesure d'évaluer la fiabilité de sa chaîne de valeur sur ses sujets."
Thomas Parouty :
"Voilà, il faut rendre le truc intéressant, donner envie d'avoir ce nouveau comportement. Pourquoi aujourd'hui le vélo explose en région parisienne ?
C'est parce que ça devient agréable de faire du vélo. Il fait beau, il y a plein de gens dans la boîte qui font du vélo, les parkings sont aménagés, il y a une offre économique... Donc pour gagner la bataille du développement durable, il faut créer la désidérabilité.
Par exemple, il y a une étude qui est faite sur la consommation responsable et pour la première fois il y a un an, ils ont trouvé que 12 % des français étaient fiers d'avoir moins consommé. Il y a la fierté sur la consommation qui est une nouveauté encourageante pour l'engagement.
La gamification est aussi un levier extraordinaire. Lorsqu'on fait une opération pendant 1 semaine, les collaborateurs à la fin on a 80 % des personnes qui veulent faire une nouvelle partie. Ils ont appris plein de choses, ils ont envie d'agir. Donc ça fonctionne bien.
Enfin toutes les actions mises bout à bout, c'est quand même très intéressant d'observer l'impact en termes de niveau d'engagement. Vous avez besoin d'engager une partie prenante dans la RSE ? ça commence par la pédagogie."
Anthony Mollé :
"Et c'est à ça que sert la gamification. C'est exactement ça la définition et chez Civitime on travaille sur la mise en place de cette gamification pour répondre aux 9 leviers d'engagement sur lesquels on souhaite agir.
Et la gamification va permettre d'impliquer les collaborateurs dans un programme de sensibilisation, parce que par exemple, mon collègue qui m'invite à rejoindre ce programme, c'est un levier de motivation. Ou encore, personne ne m'a obligé à rejoindre le programme, mais j'y vais parce que je pense pouvoir apprendre des choses et je vais ensuite rester parce que je sens que plus je progresse et je deviens une meilleure version de moi-même...
De la même manière, vous allez être motivés à retourner dans vos épiceries, parce que vous gagnez des points à chaque fois. Ça c'est la gamification également."
Juliette :
"Pour revenir sur la notion d'écart de niveau de sensibilisation à la RSE des parties prenantes à l'international, la gestion du déchet, par exemple, n'est pas du tout la même en Inde et en France. Le petit conseil que je pourrais donner, en fonction de la prestation et du produit que vous achetez, la première étape, qui me semble incontournable, c'est de partir d'une cartographie des risques RSE. Ça va nous permettre tout de suite d'identifier, au regard de ce que vous vend le fournisseur, de déterminer les enjeux prioritaires sur lequel il y a plus de criticité. Ainsi, cela vous permet d'aller tout de suite adresser les bons messages et poser les bonnes questions aux fournisseurs.
Pour des petites structures et des structures éloignées, c'est très compliqué de parler de gouvernance, de parler de tous les sujets. Donc moi, j'invite aussi à vraiment prioriser les enjeux clés qui sont liés à ce que va vous vendre vos fournisseurs, entre l'achat de Calcin et l'achat de textile on a un enjeu de l'eau qui est beaucoup plus important dans l'un que dans l'autre."
Odile Bastère :
"Je pense qu'il faut essayer au maximum d'interpeller les entreprises, les individus et les parties prenantes, de les prendre parfois à contre-pied pour les sortir de leur contexte. Et pour ça que je pense que la gamification est vraiment un bon vecteur de pénétration."
Thomas Parouty :
"Aujourd'hui, plus vous serez formés individuellement plus vos prochaines années de carrière seront intéressantes, utiles et impactantes, donc la culture, la connaissance, c'est le plus important. En 2009, j'ai fait des conférences sur le smart grids où au départ je comprenais rien sur le sujet de récupérer l'énergie d'un panneau photovoltaïque pour le mettre dans un modulateur pour distribuer l'énergie au lieu de le renvoyer chez Enedis. Sauf que c'est c'est quand même ça le plaisir d'apprendre des choses qui vont nous permettre de mieux vivre les prochaines années. C'est comme les fresques, quand certains disent ça dure trois heures, c'est trop long, je pense que trois heures ce n'est jamais trop long pour savoir ce qui va se passer dans les dix prochaines années."
Anthony Mollé :
"Il faut donner envie aux gens d'en savoir plus sur la RSE donc il faut rompre avec les dispositifs qu'on a l'habitude d'utiliser sur des sujets liés à l'activité de l'entreprise. C'est-à-dire passer par des approches de communication qui vont être différenciant. Il me semble que Thomas n'en a pas parlé mais par exemple, l'agence M!EUX utilise beaucoup le nudge dans leurs actions de communication."
Thomas Parouty :
"Pour illustrer, la technique nudge la plus connue, c'est de mettre une mouche factice au fond des toilettes pour réaliser des économies sur les frais de nettoyage des toilettes. On est en train de préparer un programme pour un lieu de 55 000m2 avec 10 000 personnes où il y a 718 escaliers, 100 ascenseurs et on a pour mission de faire prendre les escaliers à toutes ces personnes à la place des ascenseurs pour réaliser une grande économie d'énergie. Donc on va faire des notes un peu partout dans les escaliers, mais pas seulement, on va aussi utiliser des techniques plus originales et impactantes notemment le nudge."