Dans le cadre de l'évènement CONVERSER, Eric Mugnier, Partner Sustainable Performance & Transformation chez EY Technology Solutions, Pauline Grimaud, Branding Sustainability Leader chez Petit Bateau et Anthony Mollé, CEO de Civitime, étaient réunis pour échanger sur l'engagement des collaborateurs au sein d'une démarche RSE.
Ils nous partagent leurs expériences et les clés pour mobiliser ses équipes à travailler ensemble vers un avenir plus durable.
Cette première illustration reflète les défis environnementaux et sociétaux que l'on souhaite résoudre et des convictions très profondes mais finalement la première énergie renouvelable, c'est peut être l'engagement des collaborateurs. Cela permet aussi de garder en tête qu'aujourd'hui il y a des directions de l'engagement qui sont de plus en plus présentes dans les entreprises. On voit qu'on a beaucoup de directions de l'engagement qui naissent simplement pour remettre la RSE au coeur des préoccupations.
Aujourd'hui, où en somme-nous en terme d'engagement des marques au sens large ?
Eric Mugnier :
"L'engagement des marques est très variable suivant les secteurs, suivant les clients. L'engagement des collaborateurs, lui, il est plus ou moins intégré de la même manière. Ça dépend vraiment où les entreprises mettent la priorité, si c'est plutôt l'externe ou plutôt l'interne.
La communication peut se faire sans les collaborateurs, mais la transformation ne peut pas se faire sans les collaborateurs. C'est le premier cercle. Le deuxième cercle, c'est quelque part les fournisseurs, les clients et le troisième cercle représente les pairs.
Sans ce premier cercle il ne peut pas se passer grand chose donc aujourd'hui, cet engagement, il existe plus ou moins. La plupart du temps, il n'est pas mesuré, il n'est pas piloté."
Eric Mugnier :
"La RSE s'appuie sur du rationnel économique mais aussi sur l'émotionnel, ce qui va faire bouger les gens, c'est quand même de leur parler des émotions.. Il faut donc travailler sur ces deux aspects.
La deuxième idée pour moi, c'est que pour transformer, il faut changer les pratiques, donc il faut briser une certaine résistance au changement que l'on a tous en nous. Pour ça il faut faire de la coconstruction, il faut expliquer. Ça peut passer par des fresques du climat, par exemple.
La troisième idée, c'est le côté collaboratif. Beaucoup d'entreprises ont échoué par manque de focalisation sur ce qui est vraiment important.
Mais attention quand même à partir dans tous les sens et à rester focalisé sur les bons sujets.
C'est aussi ce qui va ajouter du sens à leur travail au quotidien. Je me souviens quand on a travaillé avec Casino pour construire leur démarche RSE. On est partis de l'ouvrage de l'histoire de Casino. Parce que Casino, c'est une marque, a été fondée il y a plus de 120 ans par Geoffroy Guichard pour la belle référence au stade de Saint-Étienne. Donc on est reparti des fondements et des valeurs.
Ensuite, on a parlé de commerces de proximité et c'est ça qui a permis de faire que ça fonctionne, parce que les gens se reconnaissent et il y avait de l'émotion dans tout ça. Il faut du rationnel pour parler à tout le monde et surtout aux dirigeants et de l'émotionnel pour les collaborateurs.
Un autre exemple, lorsqu'on forme les acheteurs avec mon équipe, ils sont en général rémunérés aux économies qu'ils génèrent donc quand on veut leur faire intégrer une évaluation, un questionnement environnemental et social c'est assez dur au début. Cependant, quand on leur explique les impacts humains, environnementaux de leurs achats, ce qui se passe derrière ce qu'ils achètent et qu'il est possible d'avoir un impact positif en achetant du recyclé par exemple, ou en demandant comment sont rémunérés les travailleurs, on arrive à faire changer les pratiques.
Pour autant, il faut quand même briser la résistance au changement et d'abord amener les gens à comprendre les conséquences de leurs pratiques. Il y a plein de fresques qui existent maintenant, c'est une manière de faire rentrer les gens, de comprendre ce qui se passe et derrière on peut leur demander ce qu'ils peuvent faire à leur niveau. Les faire se questionner sur ce qu'ils peuvent changer et comment construire ensemble une nouvelle manière de faire les choses.
On amène les personnes à concevoir des méthodes, des produits plus durables... La première étape c'est de se dire c'est quoi un produit / une méthode durable ?
Pourquoi on ne mesure pas comme ça? C'est donc en fait à un moment donné il n'y a pas d'adhésion et finalement tout le travail qu'on va faire. Il va être jeté à la poubelle De cette manière les gens comprennent et ça marche beaucoup mieux.
Avec la RSE, il faut s'assurer qu'on reste quand même sur les bons sujets. Donc il faut quand même donner une sorte de cadre car tout le monde met dans la RSE ce qui lui importe. Par exemple, on a fait une mission pour La Note Globale, qui avait pour ambition de scorer tous les produits et il y avait plusieurs dimensions. Et quand on demandait aux gens, c'est quoi un produit alimentaire durable ? Certains répondaient c'est le bien-être animal pour d'autre c'est la santé, pour encore d'autres c'est l'environnement ou encore la traçabilité, etc. Donc il est essentiel de poser un cadre pour éviter que ça parte dans tous les sens.
Autre exemple dans la banque, qui intègre la gestion du papier, pour que tout le monde se sent impliqué, mais en réalité, quand on est une banque, les économies de papier ça pèse pas lourd par rapport aux milliards d'investissements et d'argent qu'on place.
Donc il faut savoir trouver les bons sujets pour impliquer tout le monde mais rester sur les sujets pertinents.
Pour résumer, on peut travailler sur l'engagement donc émotionnel versus rationnel, il faut d'abord briser les résistances et accompagner le changement qui doit être lui-même cadré."
Pauline Grimaud :
"La mise en oeuvre chez Petit Bateau, ça c'est assez concret, ça fait partie de l'ADN de l'entreprise. La notion de liberté, durabilité, qualité, ça n'a pas été choisi au hasard. C'est depuis 1893, nos produits se transmettent de génération en génération.
C'est l'engagement de continuer à faire des produits avec une garantie de durabilité. Je pense que c'est un point qui émotionnellement et rationnellement parle à tout le monde. Il y a aussi dans le secteur textile des éléments déclencheurs avec la filière, le contexte environnemental, le contexte social, le contexte de marché...
Je ne vais pas y revenir plus largement, mais ce sont des étapes qui font que le groupe Rocher avance dans le fait de devenir entreprise à mission en fin 2019 donc ça implique aussi à chacune des marques du groupe d'avancer dans cette direction là.
Dans les étapes clés, il y a eu un engagement de la direction. Comme j'aime souvent dire, une organisation répond finalement à l'ambition et de ce point de départ s'est naturellement créé une propre direction RSE. Aujourd'hui, nous sommes quatre personnes référencées sur chacun des départements de l'entreprise.
Un autre point important, c'est l'objectivation des managers sur des sites clés. Chez Petit Bateau, toutes les personnes ont une part variable, entre 10 % et 20 % de leur smart qui sont liés à la RSE aujourd'hui.
Il y a 4 ans, on me demandait ce qu'on pouvait mettre en smart, c'était je viens en vélo au bureau tandis qu'aujourd'hui on me demande plutôt si je connais des formations qui pourraient faire en sorte que mon métier se transforme. Et donc on voit vraiment la progression dans les équipes sur ce sujet liée à la mobilisation interne.
On a réussi à faire intégrer à chaque département, les sujets RSE dans leur feuille de route. Parce qu'au départ, quand j'ai démarré sur ces sujets, on me disait ça va rajouter du boulot, il y avait vraiment une notion de c'est quelque chose en plus. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout un sujet. Au contraire, il y a une volonté des collaborateurs de monter en compétence sur ces sujets là.
Et enfin, comme le disait Éric, il ne faut pas que ça part dans tous les sens. Donc en même temps, on a travaillé sur nos dix engagements et les projets stratégiques de Petit Bateau. Au niveau RSE, on a travaillé sur notre plateforme de marque et de communication pour que l'ensemble finalement soit aligné. Aujourd'hui, on a un plan avec 4 piliers et un programme, on met aussi en place une communication et un pilotage avec des mesures.
Par exemple, si je prends le pilier économie circulaire, l'indicateur à mesurer serait le nombre de produits qu'on a pu recevoir en magasin par rapport au nombre qu'on a vendu. Et la vision qu'on en a aujourd'hui, c'est qu'en 2030, un tiers de nos produits sera certainement vendu en seconde main.
Un autre exemple, sur notre mission, qui est connecté les enfants à la nature. Lorsque les enfants sont en lien avec la nature, ils nourrissent leur créativité, leur confiance en eux et leur envie de protéger la planète. Moi, j'aime bien dire aussi qu'éveiller les enfants c'est plus facile que de réveiller un adulte et si on sensibilise finalement aux enjeux environnementaux dès son plus jeune âge, il deviendra un acteur responsable. Pour cela, on travaille avec l'association Water Family avec qui on est en mesure de sensibiliser 1 million d'enfants, d'ici à fin 2024, à travers des ateliers ludiques, des cahiers de vacances..."
Anthony Mollé :
"Bien sûr que la pédagogie est cruciale. Chez Civitime, on travaille avec des psychologues du travail pour vraiment essayer de comprendre quels sont les leviers psychosociaux sur lesquels il est nécessaire d'agir pour qu'un collaborateur soit engagé dans une stratégie.
Pour engager de manière complète un collaborateur, les premières actions de sensibilisation de commencer par le pourquoi. Pourquoi est-ce que je préfère que tu viennes en vélo plutôt qu'en voiture par exemple. Cette base est nécessaire pour permettre ensuite, d'ancrer les messages dans le temps.
Une fois qu'on a expliqué les enjeux RSE auxquels l'entreprise est confrontée au collaborateur, il est possible de mettre en place une feuille de route et d'agir pour le changement en interne. Ce sont les étapes clés du management de la conduite du changement.
Il est nécessaire de mesurer le niveau d'engagement des collaborateurs sur tous les sujets de développement durable, pour adapter la communication et le parcours de sensibilisation en fonction du niveau d'engagement du collaborateur. Ensuite, ils seront en mesure de se mobiliser, pour se mettre en action."
1 salarié sur 2 ne connaît pas ou très peu le rôle de la RSE. - Baromètre du désengagement salarial lié à l'inaction ou au manque d'efficacité des actions RSE en entreprises, Imagreen x Kantar, 2022.
Pauline Grimaud :
"Comme je le disais, on a une organisation RSE qui est dédiée, qui est aux interfaces de tous les départements et qui répond à l'ambition du moment. Tous les 6 mois, on se réunit sur nos missions pour créer cette dynamique qui doit répondre aux enjeux que l'on s'est fixés ou sur les nouveaux qui entrent en jeu au fur et à mesure que le monde évolue.
Et pour répondre à nos objectifs on doit accompagner les départements, on doit faire infuser les équipes et les faire monter en compétence sur ces sujets. La vocation de notre département est vraiment de vulgariser. J'aime bien dire que ce n'est pas une science d'élite, mais qu'elle doit être comprise par tout le monde. Et ça aussi, c'est important pour engager les collaborateurs, il faut qu'il y ait une compréhension de l'ensemble des collaborateurs.
Ensuite, notre mission, c'est de définir et piloter une stratégie qui se mesure pour accompagner les parties prenantes de Petit Bateau dans cette transition justement durable. On a donc travaillé sur 4 actions majeures en interne et en externe : former, animer nos collaborateurs, agir et piloter.
Pour embarquer tous les collaborateurs individuellement et collectivement, on a travaillé sur cette identification de rôle clé de connecteurs chez Petit Bateau et chercher des profils pour y répondre. Au sein de chacun des départements, on a aussi défini les instances et on a défini une gouvernance claire sur les responsabilités partagées entre les départements, au sein du groupe Rocher et de la marque Petit Bateau.
On a donc défini trois profils finalement au service de l'objectif :
Nous n'avons pas eu besoin de désigner des personnes sur ces profils, ce sont eux qui se sont portés volontaires pour avancer sur ces sujets-là.
La première fois qu'on avait un réseau de connecteurs, c'était il y a quelques années, c'était plutôt c'était avant Covid. Donc on faisait par exemple, des ateliers de fabrication de lessive, ce genre de choses, alors qu'aujourd'hui c'est plutôt, concrètement, quelle formation je peux donner à mes responsables de boutique pour qu'ils puissent avoir le bon message auprès des clients.
Il y a eu, je pense un déclic et une envie d'aller un peu plus loin. C'est justement de la définition de cette gouvernance, de ces profils, de ses objectifs dans nos instances, qui a permis de donner envie et d'intégrer de nouvelles personnes sur ces sujets là.
En plus de ça, ce sont des personnes qui se sont portées volontaires, donc ils peuvent prendre sur leur temps de travail, en accord avec leur manager, mais aussi en dehors de leur temps de travail, sur leur pause déjeuner ou autre. Ça peut m'arriver de faire des déjeuners avec des collaborateurs pour parler de ce qu'on peut mettre en place chez Petit Bateau.
De plus, cette année nous lançons le mécénat de compétences. Donc il y aura une journée de formation et une journée de participation avec la Water Family pour que les salariés puissent intervenir, par exemple dans l'école de leurs enfants, pour sensibiliser aux enjeux climatiques."
Eric Mugnier :
"Par expérience, au début il y a effectivement quelques volontaires, mais ce n'est pas structuré, ça prend du temps. La première difficulté, c'est que lorsqu'on débute en RSE il y a plein de sujets, donc on a forcément du mal à clarifier les choses importantes. Et c'est vraiment la compréhension de ce qu'on veut faire qui va permettre de déclencher l'action.
Dans la plupart des missions, quand on travaille sur les stratégies de décarbonation, sur la transformation des produits ou autre, il faut à un moment donné faire des pilotes, avec des gens hyper motivé et dont on sait que ça va marcher pour ensuite, avoir une belle histoire à raconter, donner un exemple positif. Il est donc essentiel de trouver les gens les plus motivés au départ, trouver les bons projets réalisables pour ensuite embarquer le reste de l'organisation.
Il faut qu'il y ait un bénéfice pour les collaborateurs, pour la planète et pour l'entreprise."
Anthony Mollé :
"Pour diffuser ses messages et réussir à les embarquer dans un parcours il y a deux options. La contrainte de suivre une formation, c'est une possibilité, mais ça implique de sortir tout le monde de la production et de contraindre les gens donc c'est jamais le meilleur moyen de les engager. Donc la deuxième possibilité, c'est de leur donner envie de consommer le parcours de sensibilisation.
C'est-à-dire que si on veut embarquer les collaborateurs dans la durée, il faut qu'ils aient envie de consommer ça. Pour cela, on va utiliser la gamification, en tout cas l'utilisation des mécaniques de jeu. La définition même de la gamification, c'est de transformer une activité qui peut être perçue comme contraignant par un collaborateur, par une activité qui va être stimulante.
Et la gamification vous donne des leviers de motivation pour agir, c'est ce qu'on met en place chez nos clients et on obtient des résultats qui sont probants, entre un programme de sensibilisation classique avec des outils de communication classiques, et la gamification, ça peut aller du simple au double en termes d'embarquement des collaborateurs."
Pauline Grimaud :
"Pour compléter, à l'occasion de la Journée Mondiale des Océans, avec la Water Family, on a créé des ateliers, un peu au format fresque du climat qu'on propose aussi en interne, mais version de nos engagements, des projets et des chiffres clés à retenir. On l'a réalisé avec l'ensemble des collaborateurs et là où je te rejoins Anthony, c'est qu'à la fin de cette journée, on avait fait des petits quizz où il y avait des lots à gagner, des paniers bio ce genre de choses... Et on s'est rendu compte qu'en ayant en effet ce côté gamification, les gens avaient d'autant plus envie de participer à ces ateliers."
Eric Mugnier :
"Il y a aussi la récompense de voir qu'on a eu un impact, la récompense de se dire "Voilà, on a réussi à faire ça."
C'est quand même aussi ce qui va entretenir la motivation, c'est-à-dire, s'apercevoir que je n'ai pas fait pour rien, que je peux en faire encore plus et que je peux le faire avec d'autres.
Par exemple les économies de gaz à effet de serre qu'on a réussi à obtenir des économies d'énergie, sur le nombre de vêtements qui n'ont pas été jetés, c'est ce type d'indicateur qui va évidemment dépendent des priorités des programmes. Mais il faut pouvoir aussi se féliciter, se réjouir d'avoir réussi des choses."
Pauline Grimaud :
"Quand j'anime des fresques du climat chez Petit Bateau, parfois on me dit : "je vais en sortir déprimé". Je pense qu'il faut prendre ce point là pour justement faire changer les choses et montrer que chacun à son niveau peut faire changer l'entreprise et la vision de son métier."
Eric Mugnier :
"C'est important de jouer sur le rationnel et sur l'émotionnel. Il faut jouer sur les deux tableaux pour arriver à embarquer tout le monde et des décideurs. Le côté émotionnel, il va jouer. Aujourd'hui, on a besoin d'aller beaucoup plus vite. On n'a pas le temps, on n'a plus le temps de traîner, donc il faut embarquer les gens rapidement et ce côté émotionnel permet de déclencher l'action beaucoup plus vite."
Anthony Mollé :
"Il faut savoir qu'à partir du moment où un être humain associe un message à une émotion, c'est quasiment impossible pour lui d'en oublier le coeur et le fond de ce message. C'est pour ça qu'il est important de raconter une histoire pour parler de RSE. Un bel historique ou un beau futur que l'on souhaite atteindre, déclenchera forcément cette émotion pour embarquer ses collaborateurs."